La surchauffe notée dans l’affaire Bah Diakhaté et Imam Ndao doit être évitée afin que la raison prévale dans ce pays. C’est la conviction de Moundiaye Cissé, éminent membre de la Société civile et président de l’ONG 3 D.
La surchauffe notée dans l’affaire Bah Diakhaté et Imam Ndao doit être évitée afin que la raison prévale dans ce pays. C’est la conviction de Moundiaye Cissé, éminent membre de la Société civile et président de l’ONG 3 D. S’il condamne fermement les propos de Bah Diakhaté, il craint néanmoins de revivre la psychose des arrestations tous azimuts qui ont marqué l’ancien régime. Il estime que le duo Diomaye-Sonko ne doit pas tomber dans le piège de Macky Sall et demande aux nouvelles autorités de convier à un dialogue sincère de tous les fils du pays pour installer le Sénégal dans une trajectoire de stabilité et de cohésion sociale. Moundiaye Cissé est aussi pour la reddition des comptes puisque, selon lui, les rapports des organes de contrôle ne doivent pas dormir dans les tiroirs. Le patron de l’ONG 3 D a évoqué la baisse des prix des denrées, le chômage des jeunes, mais aussi la rationalisation du jeu électoral de manière à pouvoir organiser une même année toutes les élections afin que, pendant 5 ans, ce pays se remette au travail.
Nous venons de sortir d’un processus électoral difficile. Le débat est posé sur la nécessité d’une rationalisation du jeu électoral. Quelle est votre opinion sur cette question ?
Il faut aller vers la rationalisation des partis politiques, mais aussi du calendrier électoral. On ne peut pas avoir des élections chaque année, sinon nous n’allons pas travailler. Il faut faire comme le Bénin qui va organiser en 2026 toutes ses élections. Si on arrive à faire la même chose au Sénégal, ce serait une très bonne chose. C’est-à-dire jumeler les élections législatives et locales en septembre, ensuite la Présidentielle en 2029. On aura alors cinq années pleines pour travailler. Il faut qu’on arrive au Sénégal à pouvoir tenir toutes les élections une même année.
Les arrestations de Bah Diakhaté et de l’imam Cheikh Tidiane Ndao nous replongent dans une situation délétère déjà vécue et qu’on pensait avoir dépassée. Quelles lectures faites-vous de cette nouvelle montée des tensions ?
Je pense que nous devons inviter les gens à la raison. Dans ce pays, on a besoin d’accalmie. Il faut des deux côtés qu’on sache raison garder. Cela dit, je condamne fermement les propos de Bah Diakhaté. Je pense qu’on ne peut pas se lever et traiter un citoyen sénégalais d’une certaine manière en lui jetant l’opprobre. Je condamne fermement les propos de Bah Diakhaté. Pour autant, cela ne nécessitait pas qu’il soit mis en détention. Sousle règne de Diomaye-Sonko, on ne doit pas avoir de détenu politique car c’est pour qu’il n’y en ait plus qu’on se battait surtout quand ils étaient dans cette position d’opposants. Aujourd’hui, Diomaye et Sonko ne devraient pas tomber dans le piège de ce genre de provocation. En étant une autorité, on va essuyer des critiques, des insultes mais le président de la République et son Premier ministre ne doivent pas faire comme le président Macky Sall qui mettait tous ses pourfendeurs en prison. Si cela continue comme ça, on va se retrouver aussi avec 2000 détenus. Je pense qu’on doit bannir ces pratiques consistant à insulter d’honnêtes citoyens à longueur de journée. Pour autant, ce n’est pas une raison pour les autorités de mettre en prison tous qui seraient contre eux. Ces gens pourraient avoir le statut de détenus politiques ou d’opinion, ce que nous avons toujours combattu. Je condamne fermement les propos de Bah Diakhaté qui a eu même à m’attaquer, car pensant que je suis de l’opposition. Si quelqu’un se sent offensé, il n’a qu’à porter plainte et la justice va faire son travail. En plus, dans notre arsenal juridique, il n’existe pas un article où on parle d’offense au Premier ministre. La loi parle d’offense au chef de l’Etat. Si ce dernierse mettait aussi à mettre en prison tous ceux qui l’offensent, les prisons seraient remplies. C’est regrettable, mais maintenant les Sénégalais ne connaissent que ça avec la digitalisation de la démocratie à travers les réseaux sociaux. C’est pourquoi ils doivent, les autorités doivent aller dans le sens de la réconciliation annoncée. Le président Faye a parlé de réconciliation des Sénégalais. Je pense que ce n’est pas en mettant en prison ceux qui les insultent, lui et son Premier ministre, qu’ils vont régler le problème.
Dans cette situation, quelle est la part de responsabilité des acteurs politiques ?
Les acteurs politiques ont échoué dans leur mission première qui est de formation des militants. On avait à l’époque des écoles de partis, des universités d’été. Les militants fonctionnaient sur la base de courants de pensées, avec des débats d’idées, d’écoles. Mais aujourd’hui, avec la digitalisation démocratique, chaque citoyen pense être investi du droit de pouvoir insulter qui il veut. On doit revenir à l’orthodoxie politique en poussant les acteurs politiques à avoir un programme de formation de leurs militants, eux aussi doivent donner l’exemple parce qu’il y a eu beaucoup d’invectives dans les camps politiques. Ce qui a fait que, de plus en plus, chaque camp se sent entouré d’insulteurs publics. C’est le moment pour les nouvelles autorités de corriger et de rectifier le tir en régulant tout ce qui se passe au niveau des réseaux sociaux, une régulation qui ne prive pas les citoyens de liberté puisqu’elle va se faire en les encadrant.
Et quel regard porte la Société civile, dont vous êtes une figure de proue, sur toute cette agitation ?
Nous avons tenu un atelier en avril pour pouvoir délimiter le périmètre de ceux qu’on appelle les lanceurs d’alerte. C’est pour faire une dissociation nette entre ces derniers et les lanceurs de délation afin de faire la part des choses entre ces deux aspects et la dénonciation. Ce que nous voyons aujourd’hui dans ce pays, c’est de la délation. On ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Il faudrait qu’on ait des lois qui encadrent les libertés de tous ceux qui sont appelés activistes et qui sont sur le net pour faire des directs, car tout ce qui se passe est la conséquence de cela qu’on ne maîtrise pas. Il faut que les nouvelles autorités aillent dans le sens de la régulation des réseaux sociaux sinon les Sénégalais, au lieu de se réconcilier, vont continuer à se regarder en chiens de faïence. Et cela n’arrange ni le régime en place, ni l’opposition encore moins le Sénégal, qui doit aller dans le sens de l’accalmie parce qu’on a vécu des moments difficiles ces dernières années. Les cinq prochaines années doivent se passer dans le calme, la sérénité pour un bon travail. Pour faire un dialogue, il faut de bons termes de référence. Il ne devra pas s’agir d’un dialogue pour régler des problèmes politiques. Il ne faut pas qu’on confonde réédition des comptes et règlement de comptes.
Justement, s’agissant de la reddition des comptes, les Sénégalais attendent que la justice fasse son travail face à ce qu’on considère comme un carnage financier commis par des responsables de l’ancien régime. Comment la Société civile prend-elle en compte les aspirations à la justice des Sénégalais ?
Sur ce point, les Sénégalais ont compris qu’il y a eu un carnage financier sans précédent. Plus vous lisez les rapports des organes de contrôle plus vous avez mal car vous vous rendez compte que, pendant ces cinq dernières années, il y a eu du je m’en foutisme, du maa tey dans la dilapidation de nos ressources. Cela ne doit pas rester impuni. Les organes de contrôle ne devraient pas attendre qu’on leur donne injonction de publier les rapports pour le faire. Aujourd’hui que ces rapports sont publiés, les Sénégalais attendent que la justice leur donne forcément des suites sinon cela engendrerait une frustration extraordinaire et ce serait la porte ouverte à l’impunité pour ceux qui viennent d’arriver. L’Etat doit montrer la voie aux autres en disant qu’on ne badine pas avec nos ressources publiques. Il faut gérer cette affaire dans la plus grande équidistance en laissant la justice faire son travail et en nommant les personnes devant diriger le pool financier annoncé. Avec cela, on pourrait faire un traitement équidistant, neutre, sans parti pris, sans règlements de comptes afin d’éviter le syndrome Karim Wade avec une justice sélective. Quand Karim Wade et autres ont été appréhendés, les Sénégalais avaient applaudi la traque des biens mal acquis. Finalement, les traqués avaient rejoint le parti au pouvoir pour bénéficier de l’impunité. Cela avait créé une très grande frustration au sein des populations. Oui pour la reddition des comptes. Oui pour un suivi rigoureux des rapports et non à une chasse aux sorcières et une justice sélective.
La Société civile pense-t-elle mettre en place un système de veille pour qu’il y ait des suites dans la reddition des comptes ?
Au niveau de la Société civile, nous avions mis en place dans le cadre du rapport de la Force Covid 19 un mouvement « Sunu Milliards dou dem » qui est toujours d’actualité. Nous avions applaudi des deux mains quand le rapport avait été publié et que le ministre de la Justice avait annoncé qu’il y aurait des suites à ces affaires. Nous allons faire un suivi parce qu’il ne faut pas que ces rapports dorment dans les tiroirs. On a un ministre de la Justice connu pour sa rigueur, on ne pense pas qu’il change en étant au pouvoir. En tant que Procureur, il avait toujours fait montre d’intégrité. Ce nouveau ministre de la Justice va donner une suite à tous ces rapports dans l’équidistance et l’objectivité
Evoquons la question des nominations aux fonctions étatiques. Le Gouvernement avait annoncé des appels à candidatures mais ne l’a pas fait et d’aucuns parlent même de « reniement ». Cela n’est-il pas préjudiciable à l’image des nouvelles autorités ?
Pour les nominations, je pense qu’une promesse est une promesse. Les nouveaux dirigeants devaient aller dansle sens de respecter cela. Mais dès lors qu’il n’y a pas encore une disposition légale, ils ne sont pas contraints de le faire même si, moralement, cela a été une promesse. Nous osons espérer qu’ils vont pouvoir le faire pour la suite. Peut-être que, dans l’urgence, pour quelques postes il fallait nommer comme cela a été le cas. Pour la suite, ils auront le temps de changer en mettant un dispositif et faisant un travail de recrutement basé sur des appels à candidature. Le respect de la parole donnée est un principe chez nous. Cela dit, le fait de ne pas avoir fait d’appels à candidatures pour les postes déjà pourvus, du point de vue moral c’est un problème, mais il ne pèse sur eux aucune contrainte légale pour le faire. Il faut aller dans le sens de légiférer sur cette question comme sur celle du cumul des postes.
Sur un autre point, le Gouvernement avait donné rendez-vous aux Sénégalais le 15 mai pour une baisse des prix des denrées de première nécessité. Pensez-vous qu’il soit possible de baisser les prix et que l’Etat devrait dire aux populations la vérité sur sa faible marge de manœuvre sur cette question ?
Le Gouvernement doit tenir aux Sénégalais un langage de vérité sur cette question. Ce n’est pas sur un coup de baguette magique qu’on va régler la question des prix des prix des denrées de 1ère nécessité. Surtout sur des denrées qu’on ne produit pas dans le pays et dont les prix sont fixés sur le marché international. Il faut des solutions palliatives avant d’aller dans des solutions conjoncturelles. Sur cette question, il faut dire la vérité aux Sénégalais en leur disant que la solution va durer dans le temps puisque cela passera de manière incontournable par la souveraineté alimentaire. Cela n’empêche pas qu’on puisse mettre quelque chose sur la table comme maintenir et renforcer les subventions pour les populations en attendant d’arriver à une solution structurelle.