Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a demandé lundi 20 mai l’émission de mandats d’arrêt contre des hauts responsables d’Israël et des dirigeants du Hamas. Qu’est-ce que cela signifie concrètement et quelles sont les chances de voir ces personnes sur le banc des accusés à La Haye ? Entretien avec Johann Soufi, ancien directeur du bureau juridique de l’Unrwa dans la bande de Gaza.
RFI : Pourquoi parle-t-on depuis quelques heures de moment historique pour la justice internationale ?
Johann Soufi : C’est un moment historique, d’abord, pour le conflit israélo-palestinien, parce qu’il était marqué par une impunité historique pour les auteurs des violations du droit international et auteurs de crimes internationaux. Mais pour la justice pénale internationale en général et pour la Cour pénale internationale en particulier, c’est un moment historique parce que c’est aussi la première fois que des mandats d’arrêt sont lancés contre des personnes perçues comme des alliés des pays occidentaux. Donc c’est définitivement un tournant dans l’histoire de la Cour.
Le procureur de la CPI vise deux dirigeants israéliens pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans cette guerre menée contre le Hamas à Gaza. Il pointe notamment l’utilisation de la famine comme arme de guerre. Qu’est-ce qui lui permet de le dire avec certitude ?
Alors à ce stade-là, on en est aux « motifs raisonnables de croire », c’est le standard pour délivrer des mandats d’arrêt, mais c’est quelque chose sur laquelle la plupart des experts et des personnes qui sont sur le terrain alertent depuis plusieurs mois. Il est aujourd’hui communément admis qu’Israël, ou en tout cas, le gouvernement israélien, utilise la famine comme une arme de guerre, notamment via l’entrave à l’accès à l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Lors de ces explications, seize minutes de vidéo, explications longues, Karim Khan a expliqué qu’il s’était entouré d’un groupe impartial d’experts en droit international pour arriver à ces conclusions. Pourquoi est-ce qu’il a tenu précisément à le dire ?
Quand on dit international, si on regarde qui ils sont, ce sont principalement des avocats britanniques. Je pense que l’idée, c’était aussi d’anticiper les critiques dont il allait faire l’objet, notamment de la part du gouvernement américain et aussi du gouvernement britannique. Je rappelle que Karim Khan lui-même est un ressortissant britannique. Et donc l’idée, c’était d’anticiper ces critiques en ayant des personnalités qui sont réputées dans le domaine du droit international pénal, je pense à Theodor Meron, l’ancien président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ou à Amal Clooney, par exemple.
Donc, il cherchait en quelque sorte à être inattaquable sur ces demandes ?
Oui, voilà, c’est plus de l’ordre du symbolique et du politique que réellement une exigence juridique. Karim Khan et l’ensemble des membres de son bureau avaient déjà toutes les compétences juridiques pour faire la détermination qu’ils ont faite.
Ce que l’on note, c’est que le procureur demande en même temps des mandats d’arrêt contre deux dirigeants d’Israël, dont le Premier ministre, et des dirigeants du Hamas. Le Premier ministre israélien Netanyahu rejette « avec dégoût la comparaison entre Israël, pays démocratique, et les meurtriers de masse du Hamas », a-t-il dit. « Aucune équivalence n’est possible entre Israël et le Hamas », dénonce pour sa part le président américain. Qu’est-ce que vous inspirent ces protestations ?
Elles sont classiques de la part de personnes qui sont accusées par une cour internationale. Dans ma carrière, je n’ai jamais vu une personne accusée célébrer un mandat d’arrêt délivré contre elle.
Sur le principe de l’équivalence, il y a une seule boussole, c’est celle du droit international. Et ça rappelle simplement que du côté du Hamas, le 7 octobre, et avec la prise d’otages, comme du côté israélien, on a commis des crimes qui relèvent de la compétence de la Cour, c’est-à-dire, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Et que les personnes qui sont accusées de ces crimes doivent répondre de leurs actes.
En sous-texte, on accuse le procureur de la CPI de faire de la politique et pas du droit ?
C’est le contraire. En réalité, les personnes qui l’accusent sont celles qui souhaiteraient que la Cour fonctionne de manière sélective et qu’elle offre une carte d’impunité, comme cela a été le cas depuis longtemps, aux dirigeants israéliens. Or, la Cour démontre qu’elle est impartiale et que la justice et le droit international s’appliquent à tous.
Vous qui connaissez bien la région, est-ce que ces demandes peuvent changer quoi que ce soit au conflit actuel sur le terrain ?
Alors c’est l’espoir, j’imagine, du procureur. Vous savez, c’est rare dans l’histoire de la Cour que le procureur annonce une demande de mandat d’arrêt et pas les mandats d’arrêt une fois qu’ils sont émis. Je rappelle, par exemple, que pour Vladimir Poutine l’année dernière, on avait attendu que la Chambre les émette concrètement. Aujourd’hui, le procureur anticipe cela et l’idée, c’est que ça ait un effet préventif sur l’ensemble des parties au conflit : qu’Israël cesse ses bombardements indiscriminés sur la bande de Gaza et que le Hamas relâche les otages.
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Le procureur a voulu lancer un avertissement, en quelque sorte ?
Un avertissement, mais qui aura des effets concrets aussi. L’idée, c’est que par le biais de ces mandats d’arrêt, aujourd’hui, l’ensemble des parties au conflit, et notamment les dirigeants Israéliens et les responsables du Hamas, ne puissent plus voyager une fois que le mandat sera émis dans 124 États. Et la discussion sur le fait de savoir si leurs méthodes de combat sont légales ou non aura été, en tout cas pour l’instant, tranchée.
D’un point de vue juridique, quelle est la prochaine étape ? Est-ce que cette demande du procureur pourrait ne pas être suivie d’effets, ou est-ce qu’il y a quasiment automaticité ?
Non, c’est peu probable que ça ne soit pas suivi d’effet. Alors simplement, le procureur a lancé des mandats d’arrêt pour un nombre extrêmement important de charges et donc il est possible que les juges ne confirment pas certaines charges, mais sur la possibilité que les mandats d’arrêt ne soient pas délivrés, c’est peu probable. Et donc, on peut attendre une décision de la Chambre préliminaire d’ici à quelques semaines ou deux-trois mois.